"Le confinement physique devrait favoriser le déconfinement des esprits" déclarait il y a quelques jours dans Le Monde cet éternel optimiste, Edgar Morin.
Chers amis,
Alors que le secteur culturel souffre lourdement de cette crise, qu’il a été le premier à fermer ses portes et sera probablement le dernier à les rouvrir, la culture n’est pas à l’arrêt. L’offre numérique n’a jamais été aussi foisonnante.
Et même si elle ne peut remplacer l’expérience physique, la culture numérique prouve qu’elle est possible, utile et qu’elle peut toucher un large public : tous ceux qui ne vont plus au cinéma, au musée, au théâtre ou dans les salles de concert. Et surtout les plus jeunes, premiers concernés et donc nécessaires pour imaginer ensemble le monde d’après.
“Le confinement physique devrait favoriser le déconfinement des esprits” déclarait il y a quelques jours dans Le Monde cet éternel optimiste, Edgar Morin.
Devant un agenda devenu vierge, les artistes, grands spécialistes du confinement volontaire, inventent des moyens de traverser la réclusion et nous invitent à « ne pas oublier la beauté » (S.Tesson). Ils n’ont pas posé le crayon, la caméra, les pinceaux. Leur inventivité stimulée par la crise devient l’antidote à la perte de liberté.
Georges Hadoulis : Un regard singulier sur une épreuve collective
“Lorsque l’anxiété nous submerge, nous devons faire travailler nos mains.”
“Le monde extérieur n’est probablement jamais apparu aussi menaçant, inhospitalier et incontrôlable […] (qu’en ce moment) aux yeux de George Hadoulis. Il sent – comme tant de Grecs – que chaque jour qui se lève annonce le pire. La démence. Que les certitudes dont nous nous moquons et parfois combattons depuis notre jeunesse, et qui constituent néanmoins les conditions de notre existence, risquent soudain de se dissoudre irréversiblement. Tomber en ruines. “Dans quel pays vais-je passer le reste de ma vie ?” s’inquiète-t-il en serrant les dents et les personnes qui lui sont chères.
En véritable artiste, il n’a pas cédé à la panique ni à la dépression. Il est simplement revenu à l’origine de sa création. Au cœur de son atelier. Il cherche la lumière qui scintille autour de lui. Il se lance dans la peinture avec la passion du premier jour.
Qu’a-t-il peint ? Ce que vous voyez aujourd’hui dans des dizaines de versions. Tout ce qu’il avait créé, dans la joie et la tristesse, pendant des années, avec tant d’imprévus, avec tant de choses, comme Cavafy le disait. L’environnement le plus familier. Son cocon. L’endroit où il respire et s’exprime.
Fauteuils en bambou et canapés légèrement défraichis. Vases, tubes de gouaches et d’aquarelles qui se dessèchent au soleil de l’après-midi, cigarettes oubliées qui se consument dans le cendrier, livres et albums qui s’empilent. Sur un crochet un tablier, qui lui colle à la peau quand il fait chaud. Une figure émerge d’une peinture inachevée, et lui sourit parfois tendrement, parfois espiègle. Et autour de lui des toiles vierges attendant son pinceau.
La question, je le répète, est de savoir comment il les a éclairées. Comment il les a transformées grâce à la lumière.
Si vous allez dans l’atelier de Hadoulis, vous ne serez pas baignés dans le jaune éclatant, le rose fluorescent, le bleu qui vous aspire … Vous ne verrez pas les toiles hautes tels des échafaudages ou comme des grilles qui vous mettent au défi de les contourner pour vous unir à celle – ou celui? – qui se cache derrière elles. Si vous allez dans l’atelier de Hadoulis, au mieux il vous offrira un café avant de vous asseoir sur le tabouret, non pas pour vous juger, mais pour que vous posiez …
Où sont donc les couleurs quasi psychédéliques, les formes qui pulsent ? En lui bien sûr ! Dans son inspiration dionysiaque, qui donne vie aux choses inanimées. Pour Hadoulis, la cinquantaine, le pari n’est pas d’immortaliser une blessure déjà existante. Mais de transformer la peinture en sang. Et la verser dans nos veines.
Il y parvient avec l’audace désarmante d’un dieu Pan.”
Christos Chomenidis – Traduit du grec
Ce texte initialement écrit en 2015 semble aujourd’hui faire écho à l’actualité et à la réalité que nous traversons.
“Il y a des moments de vie que je recherche activement. Je me souviens, à l’été 2015, j’étais tellement angoissé à l’idée que mon pays pouvait tourner le dos à l’Europe et partir, que je ne pouvais plus supporter de parler à qui que ce soit. J’étais déprimé. Je me suis enfermé dans mon atelier et j’ai commencé à le peindre pour oublier la situation politique que nous traversions à l’époque. Je regardais à nouveau mes meubles, les murs, le chevalet.
Comme disait Proust, “le voyage ce n’est pas de chercher des nouveaux paysages mais un nouveau regard”. Je me suis donc enfermé dans mon cocon, comme un mécanisme de survie. Maintenant, nous faisons tous la même chose collectivement. Nous restons à la maison pour sortir indemnes de cette épisode menaçant.”
Propos recueillis par Margarita Pournara – Extrait
Paru dans le journal Kathimerini du 25/03/20 – Traduit du grec