“Toutes les grandes personnes ont d'abord été des enfants, mais peu d’entre elles s'en souviennent“
- Antoine de Saint-Exupéry -

15 février 2018. Projection du documentaire sur la vie d’ Alki Zei, organisée par le Centre Culturel Hellénique. Une file d’attente impressionnante se forme sous une pluie battante devant le cinéma Nouvel Odéon du Quartier Latin. En dépit du mauvais temps le public parisien est présent, et nombreux sont ceux qui ne peuvent assister à la séance faute de place (dont l’ambassadeur de Grèce et son épouse…) Malgré ses 95 ans, Alki Zei est là, parmi nous. Elle est venue de Bruxelles spécialement pour cette soirée, bravant le froid et la distance.

Cliquez ici pour revivre la soirée de projection du film “La grande balade d’Alki” au Nouvel Odéon

Pendant la longue session d’échanges qui suit la projection, Alki Zei, infatigable, répond à tous ses lecteurs, petits et grands, parfois assis à même le sol tellement la salle est pleine. Ils lui posent des questions sur sa vie bien sûr. Une vie extraordinaire, pleine de “multiples commencements et points de départ“, qu’elle a vécu de façon presque ordinaire.

Née à Athènes, elle passe ses premières années en compagnie de sa sœur sur l’île de Samos auprès de son grand-père. “Les années les plus insouciantes de ma vie. Mon grand père nous laissait libres. Nous passions notre temps devant la mer, nous pouvions aller et venir chez les uns et les autres, tous proches et amis“. A croire que cette période douce de l’enfance a marqué sa vie jusqu’au bout. Car celle qui a connu une Guerre Mondiale, une Guerre Civile, deux dictatures et plusieurs fois l’exil, a toujours su garder un regard léger, pétillant et l’espoir face aux épreuves de la vie.Ses réponses résonnent encore.

Quand vous écrivez vous pensez à qui, vous vous adressez à qui ? 
“Quand j’écris, je ne pense qu’à mon héros, je deviens mon héros, cet enfant de dix ans. Je tâche de disparaître derrière lui…“

En effet, ses romans parlent de son vécu et des événements historiques à travers les choses prétendument triviales de la vie quotidienne. Comme si elle s’était trouvée par hasard là, où l’Histoire s’écrivait. Elle projette ses propres expériences sur la vie de ses héros, des enfants souvent espiègles. Elle transmet avec subtilité aux jeunes générations les valeurs pour lesquelles elle s’est engagée : le courage, la liberté, la solidarité. Sans jamais trahir son engagement politique, Alki Zei ne tombe jamais dans le dogmatisme, tout en défendant la vérité historique. Ayant commencé sa vie d’écrivaine en exil à Moscou, c’est la distance lui donne, peut être, plus de liberté.

Comment avez vous commencé à écrire?
“J’écris depuis toute petite. Ma sœur était très bavarde, il fallait donc que je trouve un moyen, bien à moi, de m’exprimer.“

Et la gauche ?
“La gauche, elle retrouvera son tempo, son pas, son rythme.“

Et votre avis sur la crise récente que traverse la Grèce ?
“Nous avons toujours su nous relever“

En l’écoutant, on se dit que nous avons probablement collectivement oublié que l’Histoire est jalonnée d’épreuves. Cependant, elle paraît préoccupée pour les jeunes, particulièrement ceux qui ignorent totalement l’Histoire de leur pays, l’Histoire tout court, d’ailleurs. Elle se dit effrayée que les élèves, avec qui elle échange régulièrement, lisent de moins en moins. Ces dernières années, elle consacre une grande partie de son temps à intervenir dans les écoles. Partout où elle va à la rencontre du jeune public elle parle inlassablement de l’importance de la lecture, ce bien précieux qui soude notre humanité. Son engagement pour la jeunesse est investi de toute sa force singulière.

27 février 2020. Alki Zei nous quitte à l’âge de 97 ans.

Ce n’est qu’un jalon de plus dans le temps, ce temps qu’elle disait faire semblant de ne plus voir passer. Nous ne pouvons que nous joindre Anne, à sa petite fille, pour lui adresser l’ultime question de notre séance:

Grand mère, tu vas vivre encore longtemps ?
“La première fois que ma petite fille m’avait posé cette question, je lui ai répondu “dix ans”. Elle a trouvé que ce n’était pas assez long, elle m’en a proposé quinze, on s’est finalement accordé sur treize. A l’époque, cela m’a paru long […] Or maintenant, je m’attache à ne plus mettre de limites. Je me dis que ce ne sont pas les années qui importent, mais les moments”.

Cliquez ici pour voir “La grande balade d’Alki“, un film de Margarita Manda

ILS SE SOUVIENNENT DE ALKI ZEI…

Alki Zei était une écrivaine profondément politique. La dignité de sa pensée, l’intégrité de sa conscience ont constitué la sève vitale de son œuvre. Elle en a tiré sa force d’opposition contre toute doctrine, en se tenant au plus près des grandes meules de l’Histoire, qui tournent, imperceptibles, sur le paysage intérieur de nos petites histoires intimes.

Nikos Vatopoulos

Son dernier message est le seul avec lequel je ne suis pas d’accord, le voici : « Je voudrais rajouter (à mes vœux de Noël) un vœu japonais : Ne retiens pas ce qui vient de partir, ne repousse pas ce qui est à venir. » Mais comment ne pas retenir ce qui est parti ? Je la porterai toujours en moi, tout comme ses livres.

Eleni Boura

Alki Zei a toujours été accessible. Elle était bien ancrée dans la réalité, tout comme ses livres, qui s’inscrivent désormais dans notre vie quotidienne à nous tous, intégrés dans nos familles, dans notre éducation. En effet, Petros (de La Guerre de Petros) était devenu mon père, la petite Melissa (du Tigre dans la Vitrine) était devenue ma mère. Tel était le mythe qui sans cesse ressuscitait à partir d’éléments insignifiants. Militante de Gauche, elle adorait les livres de Pénélope Delta. Résistante pendant l’Occupation allemande, en pleine famine, elle ne se lassait pas de décrire, avec moult détails, les tendances mode de l’époque. Elle était Grecque mais sans le pathos, toujours pleine de grâce, d’humour, de légèreté. Que la terre lui soit également légère.

Maria Topali

Crimée, 1964. Alki Zei avec ses enfants, Irini et Petros.
Crimée, 1964. Alki Zei avec ses enfants, Irini et Petros.
BIOGRAPHIE

Alki Zei est née en 1927 à Athènes et passe une grande partie de sa jeunesse à sur l’île de Samos. Très jeune, elle écrit des pièces pour le théâtre de marionnettes. Après la Seconde Guerre Mondiale, elle étudie la littérature, le théâtre et publie des nouvelles. A la fin de la Guerre civile grecque, elle est accueillie comme réfugiée en ex-URSS avec son mari, l’écrivain et metteur en scène Georges Sevastikoglou. Leurs enfants, Irène et Petros, sont nés à Moscou, où elle commence également à écrire. En 1964, elle retourne en Grèce en famille mais la Dictature des colonels la pousse de nouveau sur le chemin de l’exil. Elle s’installe cette fois-ci à Paris. Le retour définitif en Grèce n’aura lieu qu’en 1981.
Elle écrit des romans pour enfants et adolescents, mais aussi pour adultes traduits en plusieurs langues dont le français. Elle est morte le 27 février 2020, à l’âge de 97 ans.

Ses oeuvres les plus marquantes :

1963 – Le Tigre dans la Vitrine
1971– La Guerre de Petros
1975 – L’Oncle Platon
1987 – La Fiancée d’Achille
1989 – L’Ombrelle Mauve
1994 – Les Chaussures Espagnoles
2002 – Le Grand Ecart
2007 – Grand Père Menteur
2013 – Avec un crayon Faber numéro 2 (autobiographie)
2019 – Un Enfant de nulle part